Microbulles et ultrasons : faire passer des médicaments à travers la barrière hémato-encéphalique

Le cerveau est un organe assez important, et en tant que tel, la nature s’est donné beaucoup de mal pour le protéger. Le crâne offre une protection physique contre les coups et les bosses, mais il existe également un mécanisme de défense moins connu : la barrière hémato-encéphalique. Il est responsable d’empêcher toutes les choses désagréables – comme les bactéries, les virus et les produits chimiques étranges – de vous gâcher la tête.

La barrière hémato-encéphalique agit efficacement comme un filtre entre le système circulatoire du corps et le cerveau. Cependant, cela contrecarre également les efforts visant à administrer des médicaments directement au cerveau pour traiter des affections telles que les tumeurs cérébrales. Aujourd’hui, les scientifiques ont mis au point une nouvelle technique qui pourrait permettre à des médicaments vitaux essentiels de franchir la barrière à l’aide de la technologie des ultrasons.

Une barrière de protection

La barrière hémato-encéphalique est un réseau complexe de vaisseaux sanguins et de cellules, agissant efficacement comme un filtre entre le système circulatoire du corps et le cerveau. Il est incroyablement efficace dans son travail, ne permettant qu’à des substances spécifiques de traverser et d’atteindre le cerveau tout en empêchant les toxines ou les agents pathogènes potentiels. Cette barrière est vitale pour maintenir l’environnement stable du cerveau, crucial pour son fonctionnement normal.

Découverte pour la première fois à la fin du 19e siècle, la barrière a été révélée lorsque le médecin allemand Paul Ehrlich a noté que le colorant injecté dans la circulation sanguine d’une souris n’atteignait pas le cerveau ou la moelle épinière de la souris. Il faudrait environ un siècle de plus pour que la technologie progresse suffisamment pour en révéler davantage sur les caractéristiques physiques de la barrière.

La clé de la barrière est une structure créée par les cellules endothéliales. Ces cellules peuvent être trouvées tapissant tous les vaisseaux sanguins, mais dans la barrière hémato-encéphalique, elles sont globalement coincées beaucoup plus près dans ce qu’on appelle des «jonctions serrées». Ils créent essentiellement une sorte de tamis qui est juste assez fin pour laisser passer de petites molécules, des molécules liposolubles ou certains gaz. D’autres molécules plus grosses, comme le glucose, ne peuvent pénétrer que par des protéines de transport spéciales qui les transportent à travers la barrière.

Une nouvelle approche d’un vieux problème

Cependant, ce système de sécurité hautement spécialisé présente un obstacle important lorsqu’il s’agit de traiter les maladies du cerveau, en particulier les cancers tels que le glioblastome. Le glioblastome est une forme particulièrement agressive et mortelle de cancer du cerveau, et les traitements existants s’avèrent souvent inefficaces. L’une des principales raisons en est la barrière hémato-encéphalique, qui empêche de nombreux médicaments chimiothérapeutiques d’atteindre le cerveau, les rendant largement inutiles pour ce type de cancer.

L’application de la technique consiste à injecter des microbulles qui peuvent ensuite être combinées avec des ondes ultrasonores pour aider à perturber la barrière hémato-encéphalique. De nombreuses recherches ont été entreprises sur d’autres mammifères avant les essais sur l’homme. Crédit : Lapin, Gill, Shah et Chopra, 2011

Dans ce domaine, une équipe de chercheurs de la Northwestern University a fait une percée. Ils ont tiré parti de la puissance des ultrasons pour rendre la barrière hémato-encéphalique temporairement perméable. Cela permet aux médicaments cruciaux d’atteindre le cerveau pour traiter le glioblastome sans compromettre de façon permanente la barrière et donc la santé des patients.

La technique consiste à équiper le patient d’un appareil à ultrasons implantable dans le crâne. L’appareil à ultrasons génère des ondes sonores qui interagissent avec des microbulles de gaz injectées qui permettent l’ouverture temporaire de la barrière hémato-encéphalique. L’intervention dure environ quatre minutes et se déroule sur des patients éveillés et conscients. L’ouverture de la barrière de cette manière permet à de puissants agents chimiothérapeutiques comme le paclitaxel et le carboplatine de passer dans le cerveau.

L’utilisation de microbulles pour imprégner la barrière fait l’objet de recherches depuis plus d’une décennie et vient tout juste d’atteindre une application clinique grâce à des essais comme celui mené par la Northwestern University. La technique est appelée perturbation de la barrière hémato-encéphalique par ultrasons focalisés assistés par microbulles, ou MB + FUS BBBD. On pense que les effets fluides résultant de la cavitation des microbulles induites par les ultrasons sont ce qui aide à pénétrer la barrière. Cependant, le mécanisme d’action spécifique est difficile à démêler en raison de la difficulté, voire de l’impossibilité, d’observer directement l’activité des microbulles dans le système vasculaire cérébral.

Un réseau implantable de neuf émetteurs d’ultrasons a été utilisé pour ouvrir un large volume de la barrière hémato-encéphalique afin de permettre le passage des médicaments de chimiothérapie. Crédit : Université du Nord-Ouest

Dans un essai clinique humain unique en son genre, cette technique a été utilisée pour administrer une chimiothérapie à de grandes régions critiques du cerveau touchées par le glioblastome. L’appareil à ultrasons a pu ouvrir à plusieurs reprises la BHE, démontrant le potentiel de stratégies de traitement en cours. Le succès de la procédure a été mesuré en utilisant des colorants fluorescents pour mesurer la perméation à travers la barrière hémato-encéphalique, ainsi que des examens IRM effectués après l’activation des ultrasons. Les chercheurs ont découvert que la barrière était pour la plupart fermée environ 1 heure après le traitement. Des études antérieures suggéraient une restauration complète de la barrière après 24 heures ; ce dernier travail suggère que l’échelle de temps pourrait être beaucoup plus courte.

Il est important de noter que la recherche a également noté les avantages de l’implant à ultrasons utilisé dans l’étude. Les premières recherches utilisaient un seul émetteur d’ultrasons, tandis que cette dernière étude utilisait un réseau de neuf émetteurs dans une grille implantable. Cela a permis d’ouvrir une bande beaucoup plus large de la barrière hémato-encéphalique, permettant aux médicaments d’atteindre plus efficacement le volume plus large du cerveau.

Plus à venir

Cette utilisation innovante des ultrasons représente un changement potentiel dans le traitement du glioblastome. En contournant la barrière hémato-encéphalique, des agents chimiothérapeutiques auparavant inefficaces mais puissants peuvent désormais atteindre la tumeur cérébrale, offrant un nouvel espoir aux patients.

Le potentiel de cette nouvelle technique va au-delà du domaine du traitement du glioblastome. La capacité de pénétrer la barrière hémato-encéphalique et de délivrer des agents thérapeutiques directement au cerveau pourrait ouvrir de nouvelles voies pour le traitement d’un large éventail de troubles neurologiques. Des maladies telles que la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson et d’autres maladies neurodégénératives, où la barrière hémato-encéphalique a historiquement entravé l’administration de médicaments, pourraient potentiellement bénéficier de cette technologie.

Bien que des recherches supplémentaires soient sans aucun doute nécessaires, cette percée représente une avancée cruciale en neurologie et en oncologie. Il offre un aperçu prometteur de l’avenir du traitement des maladies du cerveau, où le franchissement de la barrière hémato-encéphalique pourrait devenir une procédure standard. Alors que le domaine de la technologie médicale continue d’évoluer, des développements comme ceux-ci représentent des avancées monumentales vers la transformation des soins aux patients et l’amélioration des résultats de santé dans le monde entier.

François Zipponi
Je suis François Zipponi, éditorialiste pour le site 10-raisons.fr. J'ai commencé ma carrière de journaliste en 2004, et j'ai travaillé pour plusieurs médias français, dont le Monde et Libération. En 2016, j'ai rejoint 10-raisons.fr, un site innovant proposant des articles sous la forme « 10 raisons de... ». En tant qu'éditorialiste, je me suis engagé à fournir un contenu original et pertinent, abordant des sujets variés tels que la politique, l'économie, les sciences, l'histoire, etc. Je m'efforce de toujours traiter les sujets de façon objective et impartiale. Mes articles sont régulièrement partagés sur les réseaux sociaux et j'interviens dans des conférences et des tables rondes autour des thèmes abordés sur 10-raisons.fr.